Voici une petite histoire de 23 courtes parties + un épilogue. Et je te mets un petit résumé pour que tu puisses savoir à quoi t'attendre en posant les yeux ici.
Résumé : Après une violente attaque qui décime complètement son groupe et la laisse pour seule survivante, Lumi doit lutter jour après jour pour sa survie dans la forêt qui ne lui avait jamais parue aussi hostile. Chaque pas lui amène de nouvelles épreuves plus éprouvantes les unes que les autres et pourtant, elle n’arrive pas à baisser les armes et à tout abandonner. Son corps proteste de douleur et son âme déchirée ne demande que la mort, mais le souvenir de son compagnon disparu et l’arrivée d’une nouvelle connaissance dans sa vie l’oblige à avancer malgré le chagrin que transporte son cœur. Lumi est une louve que les dieux ont abandonnée à son propre sort, mais qui ne veut pas se laisser abattre pour autant.
Partie 01
Recroquevillée sur moi-même, je fixais intensément mes pattes. Ces mêmes appendices recouverts de sang, de ton sang ! Que devrais-je faire : fuir ? Te laisser là, à leur merci. Les laisser s’aiguiser les crocs sur tes os. Remplir leur pense de ta chaire. Non, je ne pouvais m’y résoudre. Pas tant qu’il me resterait un souffle de vie, bien qu’il ne semblait plus en rester en toi. Alors s’il en était injustement ainsi, j’allais défendre ta simple dépouille de ma vie. Ne serais-ce qu’en hommage à ta loyauté, mon compagnon. Que ma fourrure, habituellement blanche comme neige, porte le rouge de l’ennemi en ta mémoire. Je ne les laisserai jamais t’emporter avec eux en enfer. Sous ma colère, mes pattes reprirent soudain vie, comme si elles ressentaient ma volonté qui, à ce moment précis, était de fer. Elles me soulevèrent de terre si promptement que je faillis en perde l’équilibre. Je priai alors les dieux, un court instant, pour qu’ils m’accordent leurs grâces et me pardonnent les fautes du passé. La neige à demi-fondue autour de moi, reflétait la lune, à peine sortie de ses nuages, aux rares endroits là où le sang ne s’était pas encore répandu. J’entendais leur souffle rauque et rapide résonner dans la clairière. Leur haleine putride me soulevais le cœur. Comment ceux qui nous ont créés ont-ils pu laisser de si horribles créatures se faufiler parmi nous ? Je relevai la tête, tentant de ravaler avec grand-peine le bouillon acide qui affluait dans ma gueule déjà pâteuse. La rage me consumait littéralement, elle me tenait debout, elle me gardait éveillée, lucide devant la mort éminente. Mon tendre compagnon, toi qui m’avait été si fidèle depuis le début, qui s’était montré protecteur jusqu’à la fin, aujourd’hui je te rendais la pareil de mon mieux. Aujourd’hui, on sonnait mon glas pour ta gloire, pour que l’on oubli jamais qui était le chef des Torahammas.
Ils avancèrent en direction ma fragile corpulence. Ce fut à ce moment, que le cri de guerre ou plutôt de désespoir résonna dans la nuit. Jamais plus ce clan n’existerait, détruit, anéanti. Ce long hurlement, déchirant, venant du plus profond de mon être conclurait cette épopée qui fut longtemps celle des tiens, mon compagnon, et des miens…
Quelle était mon nom déjà ? Ah oui, Lumi. Parfois Luminen aussi, tout dépendait de quel individu m’adressant la parole. Il s’agissait d’une sorte de politesse, dans le temps. Mais quel était donc ce jadis temps : celui où je n’étais pas couverte de sang et de honte. Encore entourée de mes semblables ? Sûrement ! Et que voulait-il déjà dire ce nom. Ah si ma cervelle pouvait se mettre en marche peut-être cela m’aiderait-il un tantinet, soit peu. Cela avait un certain rapport avec la couleur de ma fourrure si ma mémoire défaillante ne me trahit pas. Aussi blanche et pure que la neige, mais bien sur, c’était avant qu’elle ne prenne la teinte et la texture poisseuse du sang. Un autre nom me trottait aussi dans la tête depuis mon réveil : Voima. Signifiait-il vraiment quelque chose ou était-ce le contenu de ma boîte crânienne qui me faisait défaut. Difficile à dire, après tous les coups qui m’ont été si sauvagement donnés, je ne pouvais être en mesure de raisonner clairement. Et puis, si ce maudit soleil ne venait pas sans cesse me narguer de ses rayons trop lumineux pour mes pauvres pupilles, le mal de tête m’aurait peut-être enfin me quitter. Mais non, il me faudrait attende qu’il soit couché pour avoir ce répit. Mais, avais-je le temps d’attendre aussi longtemps ? Il me semblait que je devais enfin quitter mon lit de neige et entreprendre une route. Pourquoi donc ce sentiment ne me lâchait-il pas. Lui non plus n’aidait en rien à ce mal.
Dans un effort colossal, qui m’arracha une grimace de douleur, je relevai, de quelques centimètres à peine, cette tête qui me semblait peser plus d’une tonne. Une dépouille était étendu à seulement un mètre de ma couche d’infortune. Le corps meurtri de ce qui fut jadis un magnifique et puissant loup gris. Voima !! C’était son nom. Et oui, je devais vraiment partir, et ce pour le salut de mon âme. La vue de cette épave qu’était mon brave compagnon me fit gémir de douleur.
Que devrais-je faire sans lui. Il avait été toute ma vie. La source même de mon courage si minime soit-il. Le réconfort de mes nuits sombres, ma raison toute entière de me battre jour après jour pour ma survie. Dans une vaine tentative, j’essayai de me relever complètement. Chaque millimètre de mon corps protestait à cette agression. Qu’allais-je devenir ainsi esseulée ?
La neige tombait à gros flocons sur ma fourrure déjà trempée. La chaleur précoce du printemps, suffisante pour la transformer en eau une fois posée à terre, ne l’était guère pourtant pour me réchauffer. Je reprenais quelques forces auprès du corps de mon défunt compagnon, entourée de ce qui restait de ma défunte meute. J’en aurais grandement de besoin, ma survie en dépendrait.
Seule, dans ce décor bien triste et amer, je me posais diverses questions, qui me semblait-il, ne pourraient trouver réponse qu’en la voix des dieux si inaccessibles. On m’avait épargnée ! J’avais reçu mon lot de coups et d’insultes, si on pouvait appeler ça de cette manière. Ces bestioles n’avaient pas un langage que j’aurais pu qualifier d’articulé. Mais j’avais saisi l’essentiel, ce dont j’aurais bien pu me passer. Pourquoi étais-je toujours en vie ? Là, était la vraie question. Je détachai enfin le regard de ce corps qui allait bientôt commencer à se décomposer à cette chaleur et servirait sûrement de repas aux charognards passants. Une petite flamme s’alluma alors en moi : j’avais tout de même réussi une chose, celle à laquelle je tenais le plus. Ces immondices n’avaient pas eu le loisir de le dévorer. Je puisai alors dans ce tout petit réconfort pour me relever. Il était temps que j’entreprenne le voyage qui déciderait de mon sort. Je croyais déjà les dieux avec moi, puisque l’on m’avait laissée en vie. Mais à quel prix ? Une louve solitaire n’était à l’abri de rien.
Du moins, je réussissais à tenir bien droite sur mes quatre pattes, voilà déjà un bon départ. Je regardai, pour la dernière fois, celui qui à jamais resterait dans mon cœur. Et comme cela était coutume chez nous, je levai le museau au ciel et chantai pendant un quart de ciel l’hymne qui servait à conduire les âmes de nos valeureux vers le paradis. Là où les créateurs les attendaient à bras ouverts. Mon compagnon gagnerait des terres lointaines qui m’étaient encore interdites, là où je ne pouvais le rejoindre. Là où il n’aurait plus à se soucier de quoi que ce soit, y comprit moi !
Mon cœur battait la chamade. C’était à se demander s’il n’allait pas me sortir par la bouche. Leur odeur semblait partout : parfois je me demandais s’ils ne me suivaient pas à la trace, ou peut-être je devenais simplement paranoïaque. L’effet d’avoir été attaquée une première fois par ces immondices et en être sortie vivante par on ne sait quel miracle, n’excluait pas la probabilité qu’ils réitèrent leurs méfaits. Mon corps entier était en alerte, mes oreilles ne cessaient de bouger, et ce indépendamment de ma volonté. À chaque petit craquement, mes pattes se mettaient à courir malgré leur état de faiblesse, dans une direction que je ne connaissais guère. De plus, mon ventre criait famine, comme si j’avais besoin de cela à ce moment de crainte. Et ce foutu oiseau de nuit qui n’en finissait plus avec son hululement des plus agaçants. Si je continuais à ce rythme, j’allais devenir tout simplement folle. Cette forêt démente semblait contre moi. Eh ben voilà, j’étais réellement atteinte de folie. Comment une forêt pouvait-elle avoir la possibilité ou même la plus modeste intelligence pour jouer contre moi ?
Quel était donc ce bruit ! Je me retournai vivement. Il me semblait bien avoir entendu quelque chose qui n’allait pas de paire avec ce fond de nuit plutôt clémente. Comme un bruit de pas, un pas de course même. Ça y était, mon cœur battait plus vite qu’il ne l’avait jamais fait de sa courte existence. Le bruit s’était tu, mais j’avais l’étrange impression de ne pas être seule. Ma tête se tourna vivement vers ma droite ; un autre bruit qui n’aurait jamais dû être perçu dans la nuit feutrée dans laquelle je me trouvais. Il m’apparaissait clairement qu’on m’encerclait. Les poils de ma nuque se dressèrent d’eux-mêmes. M’avaient-ils laissée vivante dans le seul but de m’épuiser, me traquer pour mieux savourer leur victoire. Pour eux, était-ce une manière de ridiculiser la dernière représentante de mon peuple que j’étais, une fois de plus.
Aucun de doute, des bruits de pattes s’enfonçant dans la neige molle me parvenaient distinctement. Et ils se rapprochaient à grande vitesse. Mon pouls, déjà augmenté par la peur, doubla d’intensité. Je commençai à relever légèrement les babines sachant pertinemment que cela ne me serait d’aucune utilité, mais comment aller à l’encontre de mes instincts à un moment aussi critique. Mes plaies commençaient à peine à se soigner, ma tête venait de retrouver toute sa capacité, mais tout cela n’aurait servi à rien puisque mon heure allait sonner sous peu. Un autre individu, encore plus grand que les précédents, d’après la pesanteur de ses pattes sur la neige, embarqua dans la course. La queue entre les jambes, je ne cessais de tourner la tête dans tous les sens : ils arrivaient de partout !! Je vis alors, et avec horreur, leur silhouette se détacher dans le lointain. Comment espérer fuir ? Je n’arrivais plus à respirer. Mon coeur menaçait de lâcher à tout moment. Et puis, les ombres grossirent encore et encore. Mon dos se courba, mes poils se dressèrent, mes babines se retroussèrent complètement. C’était décidé : je vendrais chèrement ma peau.
-« Venez me prendre bande d’impures », sifflais-je entre mes dents.
Je m’attendais à chaque instant que leur odeur de mort ne s’empare de moi, que leur sourire cruel m’apparaisse. Ma pauvre carcasse frissonnait non pas de froid, mais d’une peur effroyable. Je n’arrivais plus à respirer malgré le rythme affairant de mon cœur. Je grognais, sans doute cela ne m’aiderait pas en quoi que ce soit, mais ça me redonnait un peu de courage. Leur silhouette se changea alors en image très floue, mais assez distincte tout de même pour que je puisse retrousser les oreilles et abandonner ma position de combat.
Enfin, un signe d’espoir parmi ce monde désertique et mauvais. Leur corps allongé, semblable en tout point avec le mien, s’élançait vers moi avec toute la grâce de notre espèce. Ils étaient une dizaine peut-être même un peu plus, je n’aurais pu être plus précise : mon excitation me faisait complètement perdre la tête. J’étais peut-être sauvée. Mon chemin solitaire, qui s’annonçait sans fin, se terminerait-il prématurément ? Que de joie élevant mon âme meurtrie !
Mais elle fût de bien courte durée. Le clan de loup, qui était maintenant plus qu’à une vingtaine de mètres de l’endroit où je me trouvais, n’était nulle autre que le clan Pimeys, cette même troupe qui avait fait des ravages parmi la nôtre deux étés auparavant. Comme si je n’avais pas assez souffert, je me retrouvais nez à nez, et sous les sourires vicieux de nos ennemis de toujours. Le chef, un immense loup aux couleurs plutôt bâtardes et à la fourrure parsemée de cicatrices de toutes tailles, me regardait avec avidité. Sa bouche entrouverte laissait presque échapper un filet de bave d’envie. Mon corps se remit alors en alerte, que ce soit eux ou les immondices qui avaient assassiné mon compagnon, il n’y avait pas de grande différence. Je risquais de finir en charpie dans un cas comme dans l’autre.
-« Que fais une si jolie femelle toute seule dans ce merdier de coin de la forêt ? »
Si jolie !!! J’étais encore couverte d’une bonne couche de sang bien collant. Par prudence, j’omis de répondre. Le silence est souvent reconnu pour ses bonnes vertus.
-« Chers frères, nous n’allons quand même la laissée comme ça. Si seule, si faible au beau milieu de bêtes sauvages qui n’attendent qu’à lui mettre la patte dessus. »
Parmi la petite troupe qui s’était rassemblée autour de moi, j’entendais s’esclaffer grassement quelques membres.
-« Emmenez-la ! »
Deux bêtes, et c’était le cas de le dire, se fichèrent de chaque côté de moi et m’incitèrent brusquement à suivre le chef qui repartait en chemin inverse.
Après avoir eu trente secondes de joie intense, je me trouvais entre deux mâles au regard mauvais, au beau milieu d’une meute des plus meurtrières. Qu’allait-il donc encore m’arriver. Il m’apparaissait clairement que je n’étais pas au bout de mes peines.